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Il faut absolument réapprendre à choisir

Le 7 août 2020 par dans Partage

« Il faut absolument réapprendre à choisir »

  • « Nous sommes habités par un refus fondamental de faire des choix, de considérer la réalité et de nous limiter. Nous sommes devenus insatiables. »
  • « C’était un mauvais choix ? Au moins, il y en avait un choix. Mais nous, nous préférons ne pas choisir. »
  • « Il faut absolument réapprendre à choisir. Non pas entre la droite et la gauche, entre le gouvernement et l’opposition, ce qui n’est pas un véritable choix, mais entre les éléments constructifs de notre société, de notre manière de vivre, il faut apprendre l’exercice de la liberté à ce niveau (et non pas à celui des luttes électorales) en sachant que c’est un mensonge de dire, c’est une sottise de croire que l’on peut tout avoir, que l’on peut cumuler tous les avantages, que l’on peut augmenter tous les salaires, et travailler moins, et consommer plus, et supprimer le chômage, etc. Il faut arriver à choisir : et si on choisit par exemple la liberté, celle-ci implique toujours une moindre efficacité, une moindre croissance de consommation, une réduction des pouvoir publics, une autodiscipline et une certaine ascèse, une certaine austérité. »

Jacques ELLUL (1912-1994) est un historien du droit, sociologue et théologien protestant français. « Penseur du XXIe siècle égaré dans le XXe », selon la formule de Frédéric Rognon, Jacques Ellul n’a pas hésité à intégrer dans ses publications ses connaissances bibliques et sa foi chrétienne.

En cette période où il est question de relancer l’économie, de soutenir la croissance, d’injecter des dizaines de milliards d’€ pour sauver des entreprises, la pensée de Jacques Ellul nous interpelle. Elle renvoie au mandat du Créateur d’être des maîtres de la création, qui se savent responsable vis-à-vis du Maître de l’univers et des générations futures.

En pleine période de confinement, nous espérions « un monde meilleur », une fois la crise sanitaire passée. En avril nous étions certains de retenir des leçons apprises afin de construire un avenir possible et prometteur.

Depuis, la peur s’est installée, s’est intensifiée.

En même temps un vent de liberté s’est levé qui veut profiter, de nouveau, de tout ce que l’on avait et pouvait « avant ».

Dans un article publié en mars 1978 (il y a 42 ans !), Ellul dénonce la perte du sens de la mesure de notre civilisation fondée sur la croyance en la possibilité d’une croissance illimité.

Quelques extraits de cet article, qui nous appellent à un discernement marqué par la foi en Dieu et une action courageuse pour « penser globalement et agir localement ».

« Il existe dans la société française, depuis quelques années, un phénomène fort remarquable, sans doute caractéristique des sociétés de haute consommation et qui consiste à recevoir comme une certitude, une évidence à laquelle on ne réfléchit même pas, la conviction que l’on peut ‘tout avoir’, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer des choix, ni dans le domaine individuel, ni dans le domaine collectif. Et avec ingénuité, on pense pouvoir cumuler indéfiniment tous les avantages, sans se priver de rien. La technique nous a accoutumés à tant de possibilités que le miracle est devenu en somme notre pain quotidien. Ce qui se traduit, d’un côté par un sentiment d’indignation quand il nous semble qu’il manque quelque chose, et d’un autre côté par une crédulité absolument stupéfiante à l’égard de ceux qui nous promettent ‘tout et tout de suite’. Il nous semble évident et normal de continuer à augmenter notre niveau de vie, et le célèbre PNB, tout en exigeant de diminuer le temps de travail, de respecter le milieu naturel, de préserver les ressources de la planète. » …

« Si bien qu’aucun sentiment de contradiction nous saisit lorsque l’on nous promet, par exemple dans l’aménagement du littoral d’augmenter (de façon quai infinie) le nombre de touristes et en même temps de préserver le milieu naturel. Comme si une densité atteignant 500 habitants au kilomètre carré permettait de conserver forêts, lacs, dunes, littorales intacts. Comme si la pollution ne devait pas augmenter avec l’afflux des populations, comme si les réserves de nature étaient infinies. Même chose quand, en tant qu’automobilistes nous exigeons des autoroutes, toujours davantage de quadrillage de routes, pour qu’il y ait toujours davantage d’autos, ce qui parait le comble du bonheur, mais en même temps nous protestons contre l’accroissement du bruit et surtout l’incohérence des villes où l’homme n’est pas heureux. »

« Évoquons l’obsession du changement à tout prix : c’est la forme populaire prise par le mythe du progrès. Du moment où nous sommes dans une ère de progrès, il ne faut jamais rester sur place. … Mais cela signifie qu’il faut toujours du nouveau, et ne jamais rester en arrière. Dans cette optique, le changement est bon par lui-même. Il faut changer tous les objets de notre vie quotidienne, et rien ne doit être fait pour durer. Le durable (y compris les relations interhumaine) fait partie d’un univers totalement dépassé. Dès lors on change de ‘partenaire’ en amour, on change de télévision, de mobilier, d’auto, etc. ; sans aucune utilité : le changement s’impose. »

Ces extraits sont tirés du livre « Jacques Ellul – Contre le totalitarisme technicien » de Serge Latouche (Éditions le passager clandestin, 2013)

 Pour la réflexion (et l’action) personnelle :

  • Qu’en est-il du « contentement » dans ma vie et que l’apôtre Paul évoque pour l’avoir appris (Phil 4.11-13 : Ce n’est pas le besoin qui me fait parler ainsi, car j’ai appris en toutes circonstances à être content avec ce que j’ai. Je sais vivre dans le dénuement, je sais aussi vivre dans l’abondance. C’est le secret que j’ai appris : m’accommoder à toutes les situations et toutes les circonstances, que je sois rassasié ou que j’aie faim, que je connaisse l’abondance ou que je sois dans le besoin. Je peux tout, grâce à celui qui me fortifie.
  • Qu’est-ce qui dirige (ou dicte) mes choix dans un achat, dans un projet,… ?

Quelle est ma réaction intérieure quand une situation m’oblige à renoncer à un avantage, à une liberté, à une option supplémentaire, à une facilité ?